
À propos de : Gary Griggs, California Catastrophes. The Natural Disaster History of the Golden State, Oakland, UC Press, 2024.
La Californie du sud brûle – et pas seulement à Los Angeles. En septembre 2004, déjà, l’état d’urgence avait été déclaré, en raison de feux de forêt « incontrôlables ». En novembre 2024, l’un d’entre eux, connu sous le nom de « Mountain Fire », ravageait le comté de Ventura sur plus de 8 000 hectares. Pour l’année 2024, l’agence compétente, le California Department of Forestry and Fire Protection (Cal Fire), dénombrait plus de 8000 feux de forêt (wildfires), ayant touché environ 425 000 hectares.
Depuis quelques jours, c’est la ville et plus largement le comté de Los Angeles, de Pacific Palisades jusqu’à Pasadena et Altadena, en passant par West Hollywood, qui sont la proie des flammes. Le 8 janvier, Cal Fire dénombrait 35 feux de forêt en cours dans l’ensemble de l’État ; le 9 janvier, le nombre s’élevait à 55 ; le 10 janvier, il grimpait à 92, puis 98. Les comptes rendus des grands quotidiens états-uniens, du Los Angeles Times au Washington Post, ont des accents apocalyptiques, photos spectaculaires à l’appui. Et les plus hauts représentants déplorent une situation sans précédent.

Difficile, hélas, de faire davantage écho au livre du géologue Gary Griggs, enseignant-chercheur à l’Université de Santa Cruz pendant plus d’un demi-siècle (nous avions déjà évoqué son nom dans ce précédent billet). La première motivation de ce California Catastrophes, explique-t-il d’ailleurs dans la section des remerciements qui ouvre le livre, est que la Californie connaît régulièrement, sinon continûment, des catastrophes naturelles de tous ordres. Hors normes symboliquement, le Golden State l’est aussi physiquement. C’est un État en mouvement permanent, y compris sur le plan physique ; un « immense laboratoire à ciel ouvert de perturbations géologiques », écrit l’auteur dans l’introduction, ajoutant qu’il y a plus de risques ou d’aléas naturels (natural hazards) au mètre carré en Californie que dans n’importe quel autre État du pays. Et ce n’est pas près de s’arrêter, compte tenu du dérèglement climatique.
Griggs replace les événements les plus récents dans une perspective historique, y compris en puisant dans son histoire personnelle, dont il égrène des épisodes plus ou moins lointains : tremblements de terre et risques sismiques (chap. 2), tsunamis (chap. 3), enjeux volcaniques (chap. 4), pluies diluviennes et inondations (chap. 5), sécheresse (chap. 6), incendies de forêt et mégafeux (chap. 7), glissements de terrain et autres (chap. 8). L’image de couverture montre une maison détruite par l’ouragan Marie, qui a touché la côte Pacifique en août 2014.

Qui s’intéresse aux plages se penchera attentivement sur le neuvième chapitre, “Coastal Storms, Sea-Level Rise, and Shoreline Retreat”, consacré aux enjeux littoraux. Les travaux de Gary Griggs, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, parmi lesquels en 2017 Coasts in Crisis, chez le même éditeur, font référence en la matière. Griggs rappelle que cet écosystème dynamique par excellence, particulièrement en Californie (il est difficile de trouver une histoire géologique plus complexe que dans cet État, glisse-t-il), est fortement peuplé : les comtés littoraux représentent 22 % de la superficie de l’État, mais 66 % de sa population. Cette pression démographique est le fruit d’un attrait sans précédent pour le rivage, le prix du foncier étant à l’avenant.
Si le mot « érosion » n’apparaît pas dans le titre du chapitre, il est en fait central. 72 % de la côte californienne s’érode, indique Griggs, qui signale dès l’introduction que des zones parmi les plus prisées, de la baie de Monterey jusqu’à Del Mar, en passant par Santa Monica et Newport Beach, sont aussi parmi les plus vulnérables. Il fait valoir à cet égard que le phénomène est à la fois graduel et brusque, puisque ce sont parfois des morceaux de falaise entiers qui se détachent apparemment d’un coup.
L’auteur de la collection Our Ocean Backyard, qui reprend ses chroniques pour le Santa Cruz Sentinel, situe au tournant des années 1980 la fin d’une séquence de relative stabilité et le début d’une période de perturbation des cycles climatiques et maritimes, en faisant le point sur le phénomène océanique El Niño. Une instabilité qui ne peut que continuer tant que l’on carburera aux énergies fossiles. Là encore, le constat fait immédiatement écho à l’actualité, alors que l’année 2024 est la plus chaude jamais enregistrée et que le seuil de réchauffement de 1,5 °C a, temporairement au moins, été franchi.
Les Californiens souffrent d’une mémoire trop courte, suggère Gary Griggs dans un dixième et dernier chapitre en forme de conclusion. Domine encore une vision à court terme qui ne peut que pécher par inconséquence ; on parle de « revenir à la normalité » alors que c’est la normalité même qui a changé. Après avoir terminé l’introduction en affirmant que la connaissance doit servir à tout le monde, et pas seulement à celles et ceux qui disposent du pouvoir, de l’argent et de l’accès à la parole publique, il se prononce en conclusion pour un « optimisme tempéré » (sober optimism), qu’il conjugue à la défense d’un « gradualisme offensif » (aggressive incrementalism) sur le plan de l’action locale.
De cette combinaison résulte somme toute une certaine prudence. Le livre se termine certes sur le scepticisme affiché à l’égard des expédients qui prétendent vainement stopper l’élévation du niveau marin et sur la nécessité de penser une « relocalisation ». Mais il esquive, ou en tout cas n’affronte pas directement, la question controversée du managed retreat, ce « retrait géré » dont nous parlions dans ce précédent billet.
Pour aller plus loin, voir le site de Gary Griggs :
https://www.gary-griggs.com/
Nous reparlerons dans ce carnet de certains au moins des ouvrages qu'il conseille de lire sur la "crise littorale".
On peut regretter que Gary Griggs ne s’appuie pas sur des travaux de sciences humaines et sociales pour saisir ces catastrophes qui ne sont pas seulement “naturelles”, quitte à engager la discussion avec eux : ils auraient pu nourrir ses réflexions conclusives sur les tensions entre intérêts (ceux par exemple des compagnies d’assurances, qu’il évoque) objectivement contradictoires. Le ton est ainsi moins combatif que celui qui animait, à propos des décisions en matière de construction et d’urbanisme, la fin du livre The Last Beach, de Orrin Pilkey (récemment décédé) et J. Andrew Cooper, dont nous avions parlé ici même.
Et l’on se prend à rêver d’une discussion désormais impossible avec un autre Californien, Mike Davis. À voir les feux qui dévorent actuellement la Californie, ainsi que la surmédiatisation de leurs répercussions sur la propriété immobilière des célébrités, on ne peut s’empêcher de penser que, décidément, l’auteur d’Ecology of Fear ne manquait pas de lucidité.
Grégory Salle
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Réseau BeachAccess (10 janvier 2025). Catastrophes californiennes. Des lignes sur le sable. Consulté le 16 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/131zx